03.2025
Le chêne à trois troncs
Le point de départ de cette série se situe dans une mémoire d’enfance : celle d’un arbre-refuge, d’un lieu à l’écart, où le monde pouvait être observé en silence. « Le chêne à trois troncs » explore les zones discrètes de la perception, ces espaces où les formes se touchent, se transforment, se répondent. Le dessin devient ici un outil d’écoute, un moyen de relier les temporalités, les espèces et les récits.
Présentée en 2025, Le chêne à trois troncs poursuit une recherche autour du vivant comme territoire de récits, en explorant ici la figure de l’arbre non plus comme simple motif, mais comme monde en soi — un être doté de séité, c’est-à-dire d’une existence propre, irréductible à notre regard ou à nos usages.
Le chêne devient dans cette série un nœud de mémoire : mémoire des sols, des gestes d’enfance, des présences passées — animales, végétales, humaines. Il est à la fois refuge et seuil, lieu de retrait et point de passage. Par ses racines, il s’ancre dans une multiplicité d’histoires souterraines, invisibles mais agissantes.
Certaines figures récurrentes tissent ce réseau sensible : la Feuille-morte du chêne (Gastropacha quercifolia), représentée sur une jambe en mouvement, incarne une hybridité entre mimétisme, camouflage et vitalité. Elle est à la fois insecte et feuille, trace et mouvement. Autre présence serpentante, la couleuvre d’Esculape, discrète et ancienne, traverse l’imaginaire de la série : gardienne des lieux boisés et symbole de soin, elle glisse entre les lignes comme une allégorie du savoir organique, sinueux, enraciné dans le vivant.
L’installation dessine un paysage de relations interspécifiques, où l’arbre dialogue avec les êtres qui l’entourent. Le mycélium, par exemple — réseau de filaments souterrains — permet la circulation de nutriments et d’informations entre les arbres via des influx électriques. Ces échanges, longtemps ignorés, donnent à voir une intelligence relationnelle du vivant, une pensée sans parole mais non sans sens.
Inspirée entre autre par les travaux de l’anthropologue Eduardo Kohn*, la série considère les vivants non comme un décor muet, mais comme des producteurs de signes. L’arbre perçu ici n’est pas symbole ou allégorie, mais un agent à part entière dans la fabrique du sens. Il pense, il sent, il agit — autrement que nous, mais pas en dehors de nous. Il forme une présence pensante, inscrite dans un monde partagé, dont le dessin tente de capter les résonances.
Le dessin, dans cette série, est aussi une matière vivante. Réalisée sur papier Dó, un papier artisanal vietnamien aux fibres longues et résistantes, chaque feuille devient membrane, surface sensible, support d’échos. Déposées légèrement en retrait sur des planches de bois, les œuvres flottent dans l’espace, réagissent aux souffles et aux pas. Le moindre déplacement de l’air — geste, présence, courant — les met en mouvement. Cette mise en espace introduit une respiration entre l’œuvre et son support, entre les images et le corps du spectateur. Le dessin ne se fixe pas : il tremble, oscille, s’adapte — à l’instar du vivant qu’il invoque.
Chaque image compose ainsi un fragment d’un monde plus vaste, où les formes — branches, insectes, racines, plis de peau ou d’écorce — s’ouvrent à la métamorphose. « Le chêne à trois troncs » ne désigne pas seulement un arbre, mais un lieu-sujet, un point de confluence entre le réel, la mémoire et l’imaginaire. Le dessin devient un territoire fragile, une cartographie affective où les trajectoires du vivant s'entrelacent — et où le regard est invité à se déplacer.
*Eduardo Kohn, (2023). Comment pensent les forêts
Vers une anthropologie au-delà de l'humain. Points Essais.
Le chêne à trois troncs (The three-trunked oak)
The starting point for this series is a childhood memory of a refuge tree, a secluded place where the world could be observed in silence. « Le chêne à trois troncs » (The three-trunked oak) explores the discrete zones of perception, those spaces where shapes touch, transform and respond to each other. Here, drawing becomes a tool for listening, a means of linking temporalities, species and narratives.
Presented in 2025, « Le chêne à trois troncs » pursues an investigation of the living as a territory of narratives, exploring here the figure of the tree no longer as a simple motif, but as a world in itself - a being endowed with seity, that is to say an existence of its own, irreducible to our gaze or our uses.
In this series, the oak becomes a node of memory: memory of the soil, of childhood gestures, of past presences - animal, vegetable, human. It is both a refuge and a threshold, a place of retreat and a point of passage. Its roots anchor it in a multiplicity of subterranean histories, invisible but active.
Certain recurring figures weave together this sensitive network: the Dead Oak Leaf (Gastropacha quercifolia), represented on a moving leg, embodies a hybridity between mimicry, camouflage and vitality. It is both insect and leaf, trace and movement. Another serpentine presence, the Aesculapian snake, discreet and ancient, runs through the imaginary world of the series: guardian of wooded areas and symbol of care, it slips between the lines like an allegory of organic, sinuous knowledge, rooted in the living.
The installation sketches out a landscape of interspecific relationships, where the tree dialogues with the beings that surround it. The mycelium, for example - a network of underground filaments - enables nutrients and information to circulate between trees via electrical impulses. These exchanges, long ignored, reveal the relational intelligence of the living world, a way of thinking that is speechless but not meaningless.
Inspired by the work of anthropologist Eduardo Kohn*, among others, the series considers living things not as mute scenery, but as producers of signs. Here, the tree is not a symbol or allegory, but an agent in its own right in the manufacture of meaning.It thinks, it feels, it acts - differently from us, but not apart from us. It forms a thinking presence, inscribed in a shared world, whose resonances the drawing attempts to capture.
In this series, drawing is also a living material.Produced on Dó paper, a handmade Vietnamese paper with long, strong fibres, each sheet becomes a membrane, a sensitive surface, a medium for echoes. Set slightly back on wooden planks, the works float in space, reacting to breaths and footsteps. The slightest movement of the air - gesture, presence, current - sets them in motion. This spatial arrangement creates a breathing space between the work and its support, between the images and the viewer's body. The drawing is not fixed: it trembles, oscillates, adapts - just like the living being it invokes.
Each image is a fragment of a larger world, where forms - branches, insects, roots, folds of skin or bark - are open to metamorphosis. « Le chêne à trois troncs » is not just a tree, but a place-subject, a confluence of reality, memory and imagination. The drawing becomes a fragile territory, an emotional cartography where the trajectories of the living intertwine - and where the eye is invited to roam.
*Eduardo Kohn, (2023). Comment pensent les forêts
Vers une anthropologie au-delà de l'humain. Points Essais.
Le chêne à trois troncs n01
20*15 cm
poems engraved on dó paper mounted on wood
Le chêne à trois troncs n01
20*15 cm
poème gravé sur papier dó monté sur bois
Le chêne à trois troncs n02 to n09
58,5*39,5 cm
ink on dó paper
Le chêne à trois troncs n02 to n09
58,5*39,5 cm
encre sur papier dó
Le chêne à trois troncs n02
20*15 cm
poems engraved on dó paper mounted on wood
Le chêne à trois troncs n02
20*15 cm
poème gravé sur papier dó monté sur bois